Alaskavol - Un trou dans les nuages
Chronique aventure – Québec-Tourisme
Par: Frédéric Dion (www.fredericdion.com)
11 juillet 2009, 3h30, Sitka Alaska.
Ma montre sonne. J’ouvre un œil. Il fait déjà clair. Je referme les yeux pour un instant. Un petit courant traverse mon esprit. Je me lève en sursaut.
Ça y est, je me souviens! La veille, un article était paru dans le journal local de cette petite ville d’à peine neuf mille habitants. Ce dernier parlait de mon passage sur la côte et de mon intention de produire un documentaire sur le Passage intérieur de l’Alaska. Il mentionnait aussi que j’étais à la recherche de quelqu’un qui pourrait m’amener sur l’île de Krusof pour que je puisse voler le Mont Edgecombe avec mon étrange machine. C’est le volcan aux pentes enneigées qui par sa forme conique parfaite, rend la vue de Sitka sur la mer si féérique.
John Dunlap est propriétaire d’une entreprise de Kayak en ville et est aussi vice-président d’une grande société de fabrication de bateaux à vocation touristique. Chaque matin, John prend son café en admirant cette montagne. Quand il a lu l’article dans le journal, il s’est dit que cela devait être accompli et qu’il était en bonne position pour aider ce « french flying filmaker ». Il m’a appelé et nous avons pris rendez-vous tôt le lendemain.
4h30. Nous sommes en mer en direction de l’île volcanique. Nos chances de réussite sont minces. Le vent est déjà à 15 km/h et le ciel, nuageux. Estimant que c’était ma seule possibilité de réaliser ce nouveau rêve depuis que j’avais vu le volcan sur Google Earth quelque mois plus tôt, j’ai décidé de tenter l’aventure. John était disposé à attendre quelques heures pour une probable éclaircie. Je lui ai dit que j’étais un gars chanceux.
Nous sommes près de la plage. Le temps est gris, le plafond nuageux est bas mais par moments, le soleil trouve des trous pour se faufiler. Nous planifions notre débarquement. La marée est descendante. Je n’aurai que 2 minutes pour débarquer mon matériel à partir du moment où nous toucherons la plage. Sinon, le bateau pourrait être impossible à reculer. La coque touche, je saute et prends mes paquets en vitesse.
Je déroule ma voile sur le sable gris foncé de la plage. Je suis excité mais je me garde une réserve. Le temps est instable. La pluie peut tout gâcher à tout moment. Je dois aussi être vigilant. À 200 mètres à l’ouest, un grizzly mange sur la plage. Nous l’avions aperçu avant d’accoster. Une pointe de roche nous sépare. Je sais que cet ours n’a aucun intérêt pour moi. Aussi, s’il venait vers moi, John m’aviserait par radio. Il reste de son côté et moi je reste vigilant.
Tout est bien fixé, le moteur, la voile, le sac de caméra. Je suis prêt et décide de tenter un premier vol. Je communique mon intension à John. « Message bien reçu, terminé ». Je mets les gaz à fond. Ma voile monte au dessus de ma tête et je commence à courir. Rapidement, je me retrouve dans le vide. Quelques rafales me déstabilisent. Des craintes surgissent en moi. Avec la mer d’un côté et la forêt de l’autre, je ne peux pas me permettre une fermeture dans ma voile. Ce serait tragique. Je me rassure, j’ai bien fait mes devoirs. Les conditions sont bonnes et j’ai de l’espace pour manœuvrer. J’attends avant de m’asseoir. Bientôt, j’aperçois l’ours. Il se sauve de moi. Je souris intérieurement, en pensant que c’est une douce revanche sur les mésaventures vécues 5 ans plus tôt avec mon ami Étienne.
En vol, Je fais quelques passages bas au-dessus de la berge. Le décor est surréaliste! C’est magnifique! Je vole! Je vole en Alaska! Voilà des images fortes et marquantes pour mon film!
Je fais plusieurs passages tout en surveillant la météo. Il y a de plus en plus de percées dans les nuages. Je soupçonne que ces derniers soient bas et qu’en fait, je pourrais monter au-dessus pour voir Edgecumbe. J’aperçois un trou. Je fais une tentative. Je gagne de l’altitude. Je ne veux pas prendre de risque. Le vent me pousse vers le large. Je dois donc mon monter vers le mont et dos à l’océan. De cette façon, si j’ai un problème, je peux revenir à ma plage en toute sécurité. Même si John est présent pour me prêter assistance, je garde en tête que si un brouillard tombait, il ne pourrait pas me retrouver en mer. Je dois absolument être certain de ne pas aller dans cette direction.
Vite, je me trouve séparé de la terre par un petit nuage. Je regarde vers le haut. C’est le ciel bleu. Il semble que ma théorie soit vraie. Les nuages sont très bas et au-dessus, c’est « le paradis » … Pour filmer ma montagne… Mon GPS indique 400 mètres. Le mont Edgecumbe mesure 1000 mètres. J’estime qu’il me reste 200 mètres à gravir avant de passer la barrière nuageuse. Le volcan devrait donc percer au-dessus. Je me lance!
Je monte, je monte, je monte. L’air est stable. Le soleil me touche pour la première fois. Quel bonheur mais je ne suis pas encore passé. Le vent, toujours de face, m’apporte un gros nuage. Je ne dois pas prendre de chance. Je le contourne vers la droite, l’évitant de justesse. Je sens que je vais réussir à passer.
Puis, se pointe un autre nuage. Celui-ci dépasse les autres et s’avère très large. Le contourner me ferait dévier vers l’océan. J’ai une marge de manœuvre, mais je ne veux pas prendre de chance. Estimant que ça ne prendrait qu’un moment, je décide de le traverser. Je m’engouffre et disparais dans cette masse abstraite. Vite, je suis dans un épais brouillard. J’ai de la misère à voir mes pieds. L’air est frais et si humide que j’ai de la misère à respirer. Une crainte monte en moi. Suis-je capable de garder le cap? Pour l’instant, oui. Le soleil est masqué, mais je peux repérer sa forme. Il doit rester à ma droite. Il fait sombre. Je garde les gaz presque à fond. Pas trop pour ne pas faire chauffer le moteur. J’ai retenu la leçon que Cyril, mon ami m’a enseignée. Je vois encore sa main faire le geste quand il me disait de relâcher un peu pour éviter le surmenage.
Je me retrouve dans un lieu que je ne connais pas. En fait, je me demande si c’est un lieu. Quelle sensation étrange! Je suis seul. J’ai l’impression que cela me force à retourner en moi-même pour affronter mes peurs et puiser dans mes forces. Qui suis-je pour passer ici? Ais-je la force pour effectuer ce passage? Dois-je envisager une retraite?
La traversée du nuage me semble une éternité. Bientôt, je suis trempé par l’humidité. Cherchant à assurer mes arrières, je pense aux prochaines manœuvres importantes si je devais rester dans ces conditions. Les dieux satellites sont avec moi. Je peux naviguer avec le GPS pour plusieurs heures. Les piles sont neuves. Je suis bien habillé. Ça devrait aller. Courage, je garde les gaz et le cap.
Après ce qui me paraît une éternité, un bleu commence à transparaître à travers le voile gris. L’air devient plus respirable. Le soleil se fait sentir. Un curieux mélange de joie et d’adrénaline m’envahi. Soudain, je sors de mon piège et aperçois le géant plus bas à deux kilomètres devant. Le GPS indique 1131 mètres! Mon nuage dépassait la masse nuageuse. Au loin, c’est une chaîne entière de montagnes blanches qui percent ce champ irréel.
Je filme le Mont Edgecumbe. Il ressemble à un immense bol où les nuages viennent tourbillonner avant ressortir sous mes pieds.
Arrive un courant descendant qui me fait perdre 200 mètres dans le temps de le dire. Je ne suis pas du bon coté, il reste moins du tiers d’essence et le vent en altitude est trop fort (35km/h) pour me permettre de me rendre du bon côté du volcan. J’amorce ma descente par un trou dans les nuages. En dérivant, ma plage se trouve vite au bout de cette percée. John est très heureux de me revoir. Il était inquiet. J’avais oublié de lui dire combien de temps je pouvais voler avec mon paramoteur. Mon vol a duré 1h30.
Je reviens les pieds sur terre, sain et sauf, satisfait du spectacle capturé sur pellicule. L’Alaska me réserve encore de belles surprises!
- Texte et aventure par Frédéric Dion
Retrouver la civilisation seul après s'être fait larguer les yeux bandés dans le nord du Québec sans carte, sans GPS et sans nourriture, courir 33 marathons en 7 semaines et naviguer des milliers de kilomètres sur l'océan sont des aventures totalement différentes. Et pourtant, il ne s'agit que de quelques défis réalisés par Frédéric Dion au cours des 10 dernières années. Pour lui, tout est possible avec l'attitude et la préparation stratégique. Il a développé une expertise unique pour vous permettre de réaliser vos défis.
À 35 ans, Frédéric a donné plus de 1000 conférences dans les plus grands réseaux de la francophonie : Les grands explorateurs au Québec, Connaissance du monde en France et en Suisse ainsi qu'Exploration du monde en Belgique et au Luxembourg.